Chalillo Dam

Belize: Dommages interets Canadiens

Michaël Werbowski
Recto Verso
May 31, 2002

Au Belize, la compagnie canadienne Fortis construit un barrage qui met en péril la dernière forêt vierge d’Amérique centrale.

Envoyé spécial de Recto Verseau Belize
Traduit de l’anglais par Mathieu Prud’homme

Même la Banque Mondiale reconnaît les énormes coûts et l’incertitude des projets de barrages hydroélectriques, particulièrement dans les zones tropicales. Cela n’a pas freiné l’ambition de la société canadienne Fortis d’harnacher la rivière Macal, au Belize, un projet contesté dans ce pays d’Amérique centrale et vivement dénoncé par des ONG états-unien-nes et canadiennes.

La Banque Mondiale, qui finance des projets de développement dans les pays pauvres, a pris la décision de mettre un terme à ce type d’ouvrages qu’elle qualifie “d’éléphant blanc”. L’institution internationale de prêts, dont les bureaux sont situés à Washington, a financé en 1997 le rééquipement du réseau de distribution électrique du Mexique afin de répondre au besoin croissant d’énergie au Belize. À l’heure actuelle, le Mexique produit de l’énergie à faible coût et l’exporte au Belize à des taux concurrentiels (8cUS/kw).

Toutefois, l’électricité mexicaine ne génère pas de dividendes pour les actionnaires des entreprises de pays développés qui investissent dans le tiers-monde. C’est le cas de Fortis qui, aux frais des contribuables canadiens et au mépris des lois nationales d’un petit État d’Amérique centrale, tente de s’approprier l’exploitation de ses ressources hydroélectriques.

Le Conseil de défense des ressources nationales du Belize qualifie la vallée de la Macal de joyau de la nature. La vallée constitue une partie du corridor biologique reliant le Mexique au Panama. Dans ses forêts vivent certaines des espèces animales les plus rares sur le globe, comme l’ara macao, le crocodile de Morelet, le toucan, le jaguar, ainsi que le tapir, animal emblématique de l’ancienne colonie britannique de 22 965 km2 (moins de la moitié de la superficie de la Nouvelle-Ecosse au Canada).

Le projet de barrage Chalillo de la compagnie Fortis, sur la rivière Macal, va non seulement inonder la région, mais risque également de rompre de façon permanente la chaîne biologique dans ce qui constitue la dernière forêt tropicale de la région.

Depuis 2000, la compagnie Fortis, de Terre-Neuve, est virtuellement en position de monopole pour la production et la distribution d’électricité au Belize. Possédant 67% de la Belize Ëlecricity Limited (BEL), la compagnie de distribution électrique nationale, Fortis a acheté la part (95 °/o) détenue par la société états-unienne Duke Energy dans BECOL, qui détient elle-même un quasi-monopole pour la production hydroélectrique dans le pays.

Duke Energy avait prévu construire le barrage Chalillo, sur la rivière Macal, mais s’est retirée du Belize après une campagne, fort publicisée par des ONG aux États-Unis, qui a persuadé le géant de l’énergie de mettre un terme au projet. Fortis l’a remplacée. Après cette prise de contrôle du secteur énergétique du Belize, le coût de l’électricité y a grimpé à 21 ctUS/kw, quatre fois plus qu’au Mexique voisin (au Québec, il est de 4,74

Fortis compte 120 années d’expérience dans de petits projets hydroélectriques. Cependant, elle ne possède aucun barrage de l’envergure de Chalillo (50 mètres) dans des zones tropicales. En zone tropicale, les conditions climatiques, la topographie et la géologie sont considérablement différentes du climat venteux et du terrain rocailleux de Terre-Neuve. L’inexpérience de Fortis dans un climat chaud et tropical ne l’a toutefois pas empêchée d’aller de 1 avant avec son projet au Belize, malgré les opinions défavorables d’éminents scientifiques, dont David Suzuki, au Canada, du Musée d’histoire naturelle de Londres, et d’un rapport commandé par l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

Tous ces avis concluent que la construction du barrage entraînera des dommages irréversibles pour l’écosystème de la vallée de la rivière Macal. En octobre 2000, lors d’un congrès mondial, à Amman, en Jordanie, l’Union internationale pour la conservation de la nature a pressé Fortis de soumettre le projet de barrage Chalillo à une étude d’impact environnemental transparente et d’y “mettre un terme, à moins que l’étude démontre que le barrage ne causerait aucune dégradation ou destruction significatives de la vie animale et de l’environnement naturel”.

Les travaux de harnachement de la rivière Macal, estimés à 45 M SUS, ont été suspendus après que Mme Sharon Matola et Bacongo, un groupe local pour la conservation de la nature, aient déposé une demande d’injonction conjointement avec le lobby américain National Ressources Défense Council (NRDC), de Washington. La Cour suprême du Belize a entendu les arguments en faveur et contre la construction du barrage, au mois de janvier 2002. On attend sa décision. Mme Matola s’est rendue à Ottawa, le 10 avril dernier, pour rencontrer Mme Susan Whelan, ministre de la Coopération internationale du Canada, responsable de l’ACDI, pour lui demander que le gouvernement fédéral cesse de soutenir le projet de Fortis, contesté au Belize. Mmc Whelan dénie toute responsabilité canadienne dans la décision du Belize de construire ou non le barrage Chalillo.

L’implication de l’ACDI

Grainne Ryder, une spécialiste en hydrologie de Probe International, une ONG canadienne, et l’une des têtes dirigeantes de la campagne pour mettre un frein au projet de Fortis, est la première à avoir révélé publiquement comment Ottawa dispensait l’aide internationale canadienne et l’implication de l’ACDI dans le projet Chalillo. Des documents, retenus par l’ACDI mais finalement obtenus par Probe International grâce à la Loi d’accès à l’information, ont prouvé l’implication de l’agence gouvernementale de développement international.

Au début de l’année, Mme Ryder était au Belize afin de mobiliser l’opposition au projet avec l’aide de son partenaire local, Bacongo. Dans une émission radiophonique locale, elle a fait état des liens étroits entre l’ACDI et Fortis. “En 1999, Probe a enquêté sur l’utilisation et les abus de l’aide étrangère”, relatait Mme Ryder. “Dans le cas présent, nous avons découvert que de l’aide avait été secrètement versée à une entreprise (Fortis) qui voulait une étude justifiant le projet de barrage de Chalillo au Belize. Le gouvernement canadien avait promis de payer un consultant à Fortis-BEL, un demi-million de dollars, pour justifier ce projet douteux.”

L’enquête de Probe a révélé que Fortis avait donné 5 000 $ au Parti libéral du Çanada (et autant au NPD et au Parti conservateur), aux dernières élections fédérales, et le consultant nommé par l’ACDI, la firme d’ingénierie torontoise AMEC, 27000$. Le bureau montréalais d’AMEC s’est chargé de préparer le document. AMEC a reçu 500000$ pour ce rapport dont l’objectif était de justifier la construction du barrage.

Dissiper le mythe des barrages

Les ingénieurs et les agences de développement défendent encore le projet sous prétexte qu’il représente une source d’énergie propre et non polluante. Dans les années 1960, les barrages étaient considérés moins polluants que les émanations de combustible fossile, le gaz naturel ou le charbon. Cependant, il est prouvé que les réservoirs hydroélectriques augmentent l’émission de gaz à effet de serre, modifient la composition chimique de l’eau, provoquent le déplacement des populations et de la faune. Dès 1969, l’Amencan Association for thé Advancement of Science avait conclu que “peu de projets peuvent avoir des effets physiques, biologiques et socioéconomi-ques aussi importants que la construction d’imposants barrages hydroélectriques. Plusieurs de ces effets sont irréversibles. Sous plusieurs aspects, les réservoirs de barrages sont des agents potentiels de dégradation de l’environnement “.

Le projet Chalillo risque de s’avérer tout aussi dommageable pour l’économie du petit pays. La dette du Belize frise les 700 millions de dollars américains. Fortis-BEL “détient un monopole et garantit des revenus aux investisseurs en imposant des prix exorbitants à des consommateurs captifs”, explique Grainne Ryder. Les 240000 consommateurs béliziens paieront 500 millions $US en redevances, en 50 ans, pour le barrage Chalillo.

Au Belize, l’étude d’impact environne-mental s’est déroulée en quelques semaines, sans consultation publique, et n’a été entreprise qu’à seule fin de justifier le projet Chalillo, assure Ambrose Tillet, consultant en énergie pour Bacongo et ancien employé chez BEL. Il a été remercié de ses services par son ex-employeur pour avoir exprimé ses inquiétudes sur le projet. Fortis l’a même qualifié de “terroriste environnemental”. Tillet persiste à croire que “Chalillo ne va pas baisser le prix de l’électricité pour la population du Belize, comme le soutient Fortis, tout comme il ne pourra produire une quantité suffisante d’électricité”.

La firme canadienne AMEC avait donné le mandat à une firme du Guatemala de recueillir des échantillons de pierres sur le site convoité. Un géologue indépendant, Brian Holland, conteste l’étude géologique d’AMEC. Ses propres résultats indiquent qu’il n’y aurait pas de granit ou de roc de soubassement (bedrock) sur le site, contrairement à ce que prétendaient depuis le début les ingénieurs de BEL. Les fondations seraient trop instables pour supporter le poids d’une structure aussi imposante de 50 mètres de haut.

Des microbiologistes ont soutenu que la construction du barrage causerait la détérioration de la qualité de l’eau de la rivière Macal. “S’ils inondent la partie supérieure de la rivière, la végétation, et il y en a tellement dans cette région, pourrira et l’eau ne pourra plus être utilisée à des fins de consommation”, affirme Grainne Ryder, de Probe International. Les 800 habitants du village de Cristo Rey seront le plus affectés. AMEC et BEL, tout comme Fortis, ont rejeté ces affirmations.

Économies locales ruinées

Une zone de 10 kilomètres carrés est menacée dans la réserve forestière nationale de Chiquibul. En aval, la rivière Macal traverse la ville de San Ignacio (10000 hab.) et affectera considérablement la communauté de la région. Les principales sources de revenus de cette région proviennent de l’écotourisme et de l’agriculture, deux secteurs d’activités qui dépendent de la rivière Macal pour l’approvisionnement stable et la qualité de l’eau.

“Le barrage Chalillo. au Belize, ne produira pas une quantité suffisante d’électricité et ne va pas en baisser le prix pour la population.”

La rivière Macal est étroite. En la traversant, on peut sentir le faible courant. Le niveau d’eau est si bas qu’on voit les femmes y baigner leurs bébés. Les représentants du gouvernement maintiennent que le barrage créera un réservoir suffisant.

On trouve de la pierre à chaux, dans l’environnement du projet Chalillo. Cela risque de causer des fuites dans le réservoir. Selon l’hydrologiste Grainne Ryder, “le barrage posera des problèmes de fiabilité. Nous étudions les barrages dans des pays tropicaux. La quantité d’énergie produite est directement liée à la quantité d’eau entreposée derrière le barrage. Mettre en place un ouvrage de la sorte, qui dépend autant des humeurs de la météo et du climat, représente un risque très élevé. ” Le niveau d’eau pendant la saison sèche inquiète les géologues et les environne-mentalistes. Actuellement, les turbines du barrage Mollejon, en aval de Chalillo, sur la rivière Macal, ne tournent que six mois par année.

Une alternative : le biogas

En autobus, en direction de la ville de Be-lize-City, le voyageur est frappé par les innombrables champs de canne à sucre. En brûlant des tonnes de ces récoltes, on obtient du biogaz qui peut être utilisé pour produire de l’électricité. Ce procédé, utilisé à Cuba, a cependant été rejeté du revers de la main par le ministère des Finances, et le premier ministre du Belize, Saïd Musa, a donné son appui inconditionnel au projet Chalillo. Joseph Sukhandan, gérant du projet chez BEL, s’efforce quant à lui de discréditer la fiabilité d’un approvisionnement énergétique à partir du Mexique, soulignant que le Belize devait être autosuffisant. Est-ce que cette autosuffisance doit impliquer la dépendance totale envers une entreprise étrangère pour répondre à ces besoins énergétiques ? Cela reste à prouver.

Mais, peu importe la façon dont la controverse se terminera, les opposants ont soulevé de sérieuses questions quant à la façon d’opérer des grandes entreprises du Nord et des agences gouvernementales d’aide internationale au Belize. Elles touchent aux problèmes de privatisation et aux pratiques monopolistiques dans les pays en voie de développement.

Le projet Chalillo a également suscité l’intérêt des Canadiens sur la façon dont l’aide étrangère est dépensée dans ces pays. Pour les habitants du Belize, le projet Chalillo a donné un second souffle à la société civile et à l’esprit démocratique. “Autant pour les opposants que pour ceux qui sont en faveur du projet, c’est une campagne intéressante”, analyse Devon Gabourel, animateur de radio et membre du groupe de pression politique Spear. “Ce projet a mobilisé les gens et les a sensibilisés à d’autres préoccupations nationales, dont l’industrie des télécommunications. C’est un phénomène politique, ici, en termes de développement et de démocratie. Cela suscite une prise de conscience sur toutes les structures de notre société”, explique fièrement ce jeune militant. “C’est la première fois que la société civile a autant de pouvoir au plan politique, et, par conséquent, la première fois que le gouvernement doit faire face à une opposition aussi musclée à un projet d’envergure nationale. ”

No 296 Mai/Juin 2002


Sharon Matola est directrice du Zoo de Belize-City et l’une des principales opposantes au projet de barrage Chalillo que veut construire Fortis, sur la rivière Macal, au Belize.

Michaël Werbowski: Quels sont les enjeux pour les espèces animales de la vallée de la Macal? Peut-on s’attendre à voir certaines espèces rares disparaître?

Sharon Matola: La région est unique et présente un habitat unique. Je ne suis pas la seule à penser ainsi, tous les scientifiques qui ont vu l’endroit ont été sidérés. C’est particulièrement inquiétant quand une personne comme Grainne Ryder, une ingénieure hydraulique à qui j’ai montré le site, affirme que si l’on inonde l’endroit, ce sera un désastre.

Du mercure sera répandu dans l’environnement, lit-on dans l’étude d’impact, et la qualité de l’eau sera diminuée. Alors, vous dites à ces personnes qui se sont toujours approvisionnées et baignées dans la rivière: “Excusez-nous, vous devrez quitter, car on a besoin de sept mégawatts d’énergie (il risque d’y en avoir moins), et c’est tout”. Il n’y a eu aucune rencontre avec les habitants, afin de les indemniser. Et pour les inondations? La réponse de BEL est que les inondations iront en diminuant (avec le barrage). Mais cela n’a rien à voir. Vous ne pouvez pas avoir à la fois un barrage pour un réservoir et pour l’irrigation.

M.W.:Dans une perspective régionale, quelles sont les conséquences pour les habitants?

S.M.:La question ici ne concerne pas seulement le Belize. Trois pays sont concernés: le Guatemala, le Mexique et le Belize. Nous nous emparons du plus grand bloc de forêt tropicale au nord du bassin de l’Amazonie. Dans cette forêt, toutes les espèces animales sont uniques. Il y a des jaguars, qui font face à l’extinction dans certaines régions d’Amérique centrale. Il y a moins de 200 aras macao au Belize, une espèce que l’on retrouve également au Guatemala et au Mexique. Nous avons créé un organisme appelé Ara macao sans frontières, (pour protéger) ces oiseaux qui se promènent entre ces trois régions. Ce sont des sites uniques de forêts tropicales, avec des temples mayas et des espèces animales uniques.

Le Belize a une économie en pleine croissance et dépend beaucoup de la nature pour son industrie touristique. Il y a plus de 69 millions d’observateurs d’oi- seaux aux Etats-Unis (une clientèle privilégiée), plus que le nombre de golfeurs et pêcheurs. Ces trois pays dependent économiquement de ces ressources naturelles. Pourquoi dénigrer ce fait? Spécialement avec un projet aussi insensé.

M.W.:Mais le projet a reçu le soutien du gouvernement?

S.M.: Le gouvernement du Belize veut ce projet. Un ministre démissionnaire, en septembre dernier (2001), a déclaré: “Je n’aurais jamais cru que mon gouvernement aurait cédé ou vendu un bien public à des intérêts étrangers”. M a également affirmé que “pour la plupart d’entre nous, le Belize est notre foyer, notre maison, et nous n’avons aucun autre endroit pour nous réfugier”. Dire que le gouvernement est uni à 100% derrière le projet est tout simplement faux.

M.W.:II semble que le projet Chalillo ait donné lieu à une polarisation entre ceux qui sont pour le projet et ceux qui s’y opposent. Avec deux camps qui ne semblent pas vouloir déroger de leur position, croyez-vous qu’un compromis est possible?

S.M.:Hormis les questions que le projet soulève quant à l’environnement ou l’économie, c’est un véritable test pour la démocratie. Le dossier a polarisé l’attention, et des amitiés ont été brisées. Je crois que, en bout de ligne, et je parle pour moi-même, car j’en suis à ma troisième année d’implication active dans ce dossier, cela nous ramène aux principes humains de base. Souhaitons que les bons l’emportent.

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